C'est un livre dont je tiens à vous parler depuis assez longtemps sans trouver la manière de le faire. Il s'agit d'un roman publié pour la première fois en 1966 chez Buchet-Chastel, un livre qui est tombé dans l'oubli avant d'être redécouvert et réédité par Les éditions du Chemin de fer cette année. L'ouvrage en question a été écrit par Hubert Gonnet et il est très probable que vous ne connaissiez pas cet auteur. Le grand scandale est son titre.
De cette nouvelle édition, on peut déjà dire que c'est une belle réussite. Une belle typographie, un beau papier, une mise en pages impeccable. Pour entrer dans le roman, il faut accepter l'idée de l'auteur qui conduit à couper le livre en deux parties qu'il faudrait parvenir à lire dans un même temps. Nous avons le récit qui se lit sur les pages paires et l'intime du "héros" qui occupe les pages impaires, les pages paires et impaires se faisant écho les unes aux autres.
Ce roman s'inspire d'un fait divers survenu en 1956 que l'on appelle "affaire du curé d'Uruffe". Elle met en scène un curé, Guy Desnoyers, qui assassine sa jeune maîtresse enceinte de lui avant de l'éventrer et de tuer à coups de couteau l'enfant qui, l'autopsie le démontrera, était viable. Il prendra tout de même le temps de baptiser la petite fille pour lui garantir une place au paradis.
Le roman ne s'attarde pas à décrire l'horreur des crimes. Ce n'est pas un roman d'épouvante. L'intention de l'auteur n'est pas de faire frissonner, de jouer avec la peur ou le dégoût. Les crimes ont lieu, les gendarmes et les policiers enquêtent, le curé est accusé, le juge d'instruction interroge l'accusé et à la fin, le curé avoue et reconnaît ses crimes. Tout ça est réservé aux pages paires. C'est formel, ça tente tant bien que mal d'expliquer, de comprendre.
Les pages impaires répondent aux pages paires. Dans celles-ci, on entre dans la tête du curé (qui, comme le dit l'auteur, n'est pas celui d'Uruffe pour la simple raison qu'il n'est pas, lui l'auteur, ce curé d'Uruffe). Ici, dans cette moitié de livre, tout n'est donc que spéculations. Hubert Gonnet essaie de se mettre dans la tête d'un curé qui tue sa maîtresse et sa fille pour… Pour quoi ? Pour sauver les apparences ? Par peur du scandale ? Par crainte du déshonneur ? Par folie ? On ne peut pas être dans la tête du vrai curé d'Uruffe. Toujours est-il que les crimes ont eu lieu et que l'on peut comprendre que l'affaire ait marqué Hubert Gonnet jusqu'à le conduire à écrire ce roman en 1966.
Il reste que si c'est bien le curé qui a tiré sur sa jeune maîtresse et a usé d'un couteau pour tuer l'enfant extrait du ventre de sa mère, il est intéressant de se poser la question de la responsabilité de l'Église et de la société de l'époque. Et c'est justement le vrai sujet du roman. Sans prétendre qu'un pareil fait divers serait impossible aujourd'hui, il me semble qu'une histoire de curé qui aurait un enfant ne choquerait pas notre société en dehors des cercles religieux fanatiques. Maintenant, juger le poids de la société d'il y a bientôt soixante-dix ans n'est pas chose facile. Ça devait l'être un peu plus juste dix ans après les faits. Les crimes sont là et ce n'est pas réparable. Si on ne peut pas excuser ces crimes, on peut toujours tenter de comprendre ce qui a conduit à leur commission. Et là, il faut bien tenter d'entrer dans la tête du coupable et d'imaginer les conflits internes et leur caractère inextricable. Parce que, dans le fond, quels étaient les choix possibles pour ce curé ? Croyant convaincu, il savait vivre dans le péché et devait déjà composer avec cela. On dira que croire en un dieu comme celui de la Bible impose, normalement et sauf cas particuliers, de ne pas tuer. Le Vatican, lui, ne voit pas d'un très bon œil l'idée qu'un curé puisse avoir des rapports sexuels et encore moins qu'un curé puisse être papa. Il y a bien la solution de devenir un curé défroqué mais, apparemment, elle est écartée rapidement. Le curé aurait pu partir, fuir. Il ne peut pas se suicider parce que sa religion ne l'autorise pas.
Aujourd'hui, je suppose que l'on excuserait encore moins les crimes d'un curé qu'autrefois. Lors du procès, le jury lui a trouvé des circonstances atténuantes (lesquelles ?) et lui a évité la peine capitale. Je suppose que nous serions nombreux à accepter (ou à s'en foutre) qu'un curé baise et donne naissance à un gosse mais que nous condamnerions les crimes.
Pour l'heure, je me demande encore quelle est la conclusion réelle de ce roman. Hubert Gonnet cherche-t-il à absoudre le curé d'une partie de ses crimes en faisant porter la faute au système du catholicisme ou cherche-t-il à montrer que la société a conduit à devenir curé un homme incapable de ne pas vivre sa vie d'homme et poussé à la folie meurtrière ? Il me semble que derrière tout cela il y a un procès de l'institution religieuse malgré tout. Ceci étant écrit, j'ai pris un plaisir réel à lire ce roman étonnant dans sa forme et très intéressant dans son fond.
